BOURGOGNE – Flagey-Echézeaux
L'HOMME
EMMANUEL ROUGET A 18 ANS QUAND IL COMMENCE À ARPENTER LES VIGNES DE BOURGOGNE. À INTERPRÉTER LEURS NOTES. À FAIRE CHANTER LEURS ACCORDS. UN TRAVAIL RIGOUREUX QU’IL APPREND AUX CÔTÉS DE SON ONCLE. HENRI JAYER. UNE POINTURE QUI FERA DE LUI UN VIGNERON AUTANT QU’UN VIRTUOSE.
L’année où Emmanuel Rouget a 20 ans, il voit son oncle réaliser le millésime qui le fera entrer dans la légende. Son talent de vinificateur est enfin reconnu. Nous sommes en 1978. Il ne sait pas encore que 40 ans plus tard, son Richebourg du même millésime s’arrachera dans les ventes aux enchères. Battra tous les records. Dès lors, l’apprentissage d’Emmanuel s’intensifie. À chaque instant, il observe. Apprend. Grandit. À la vigne comme au chai, Henri Jayer est son mentor. Quelques années plus tard, le jeune vigneron prend son envol et s’établit non loin de là. À Flagey-Echézaux. Sur des parcelles qui s’étendent de Vosne-Romanée à Nuits-Saint-Georges. Une proximité qui lui permet de suivre les vins du domaine Henri Jayer. D’en prendre les vinifications en 1995. De continuer à apprendre. Vendange après vendange, Emmanuel gagne en excellence. Sous l’œil connaisseur de son oncle. En 2005, tandis qu’il goûte les vins de son neveu, Henri Jayer ne dit rien. Pas un mot. Emmanuel s’inquiète. Il interroge son oncle sur les raisons de son silence. Ce dernier lui demande juste s’il se rend compte de ce qu’il a fait ! « Des vins extraordinaires ». Un blanc-seing pour Emmanuel. L’ultime reconnaissance. Comme un cadeau. Entre temps devenu père, Emmanuel Rouget transmet aujourd’hui ces savoir-faire familiaux à ses deux fils. Nicolas est à la manœuvre entre les ceps. Guillaume au chai. Après avoir fait une école de viticulture et rejoint le domaine en 2011, celui-ci s’apprête à poursuivre l’œuvre de son père et de son grand-oncle. Un héritage qui sonne comme une mission.
« On travaille en lune descendante. Pour la taille mais aussi pour la mise en bouteille. »
LE TERROIR
GILLY-LÈS-CITEAUX. SAVIGNY-LES-BEAUNE. CHOREY-LES-BEAUNE. NUITS-SAINT-GEORGES. VOSNE-ROMANÉE. CROS PARANTOUX. LES BEAUMONTS. LES ÉCHEZEAUX. LE DOMAINE D’EMMANUEL ROUGET SE RÉPARTIT SUR DIFFÉRENTES COMMUNES. DIFFÉRENTS LIEUX-DITS. LE PÉRIMÈTRE EN CÔTE DE NUITS EST RESTREINT. CINQ KILOMÈTRES. MAIS N’EMPÊCHE PAS LES PARCELLES DE DÉVELOPPER LEUR PERSONNALITÉ PROPRE. UNE RICHESSE QU’HONORE LE VIGNERON SUR L’ENSEMBLE DE SA GAMME.
À l’époque où Henri Jayer lance son domaine, le Cros Parantoux n’existe pas. Pour découvrir le froid terroir qui se niche ici, il faut casser la roche. À la dynamite. Quatre cents bâtons sont nécessaires. Ainsi qu’une bonne dose de détermination. Entre Richebourg et Cros Parantoux, le muret est composé des cailloux évacués à la brouette. Un travail titanesque. Aujourd’hui, l’hectare du Cros Parantoux, ce cru mythique créé de toutes pièces par Henri, se partage entre deux domaines. 30 ares appartiennent à celui de Méo-Camuzet. 71 à Emmanuel Rouget. Sur ces terres chargées de l’histoire de son oncle, le vigneron s’applique à mener une culture raisonnée. Pour laisser s’exprimer les sols. Respecter les cépages. Car Emmanuel est conscient que les nuances de ses vins prennent racine ici. Grâce aux différents terroirs. La profondeur de leurs sous-sols. L’exposition de leurs pieds. Est. Sud-Est. Toujours. Cette philosophie qui l’anime, Emmanuel la tient des éléments. L’eau, la terre, le vent… Comme il aime à le rappeler, la nature est une force. Qui sait mieux que quiconque ce qu’il faut faire. Alors il l’observe et l’écoute. Avance avec elle. En 2018, la région subit une météo aléatoire. Il pleut fort à certains endroits. Moins à d’autres. Il faut s’adapter. Et pour aider son vignoble, il repique. 2 000 pieds par an. Principalement issus de sélections massales. Planifie aussi toujours sa taille en lune descendante. Entre une semaine et dix jours par mois. Si c’est tard, les pieds pleurent. Mais cicatrisent vite. Écartant tout risque de maladie. La promesse de jolies récoltes. De cuves pleines. De quoi repartir de plus belle vers un nouveau millésime. Si la nature le veut bien.
« Sur Cros Parantoux on attaque la 5e année de labour avec le cheval. »
« Sur les Échezeaux, les parcelles sont sur trois lieux-dits : Les Treux, les Cruots et le Clos-St-Denis. »
LA FAÇON DE FAIRE LE VIN
LES FRUITS QU’IL FAIT POUSSER, EMMANUEL ROUGET LES RÉCOLTE AU BON MOMENT. LES TRIE DRASTIQUEMENT. ÉCARTE CEUX QUI SONT TROP MÛRS. CEUX DONT ÉMANE UNE ODEUR DE PRUNEAU. UNE VIGILANCE QUI LUI PERMET DE PRODUIRE DES MERVEILLES. DES VINS PRESQUE PARFAITS À L’ENVERGURE DE CEUX D’HENRI JAYER.
À la vigne puis sur la table de tri, les grains sont sélectionnés. Éraflés. Vinifier en vendanges entières n’est pas du style d’Emmanuel. Sur ce sujet d’ailleurs, le débat n’est pas tranché. Et les vignerons laissent leurs goûts les guider. Lui préfère des vins moins astringents. Plus typiques. Surtout pour le pinot noir, dont la palette aromatique ne peut se révéler avec les rafles selon lui. Dont acte. Macération pré-fermentaire à froid. Fermentation alcoolique en cuve béton puis malo-lactique. Les jus sont ensuite élevés 22 mois. En fûts neufs ou de plusieurs vins selon le terroir. Emmanuel veille simplement à maintenir la température l’été. Au chai également. Les élevages se font ainsi sur lie. Sans soutirage. Pour apporter plus de finesse. Et mieux protéger le vin avec le gaz carbonique. Pour la mise en bouteille, remise en masse en cuve cubique de 1000 litres. Les vins ne sont ni collés, ni filtrés. À l’exception des blancs qu’Emmanuel filtre légèrement. À propos des sulfites, Emmanuel Rouget n’a pas honte de dire qu’il y a recours. Au moment des vendanges uniquement. Et à la mise. Selon les standards des vins natures. Des doses tellement minimes qu’elles ne repoussent pas la clientèle, de plus en plus informée. Une fois embouteillés, les vins voyagent. Équipés d’un système à puce. En rouge et à partir des villages. Une façon de garantir l’authenticité. 50 % vont à l’export, le reste se répartit entre les cavistes et quelques particuliers. Des amateurs comme lui de notes de framboise, d’épices et de vanille sur le Vosne. Ou encore d’orange sanguine et d’agrumes sur l’Échezeaux Grand Cru 2017. Autant de pépites dont Henri Jayer aurait été fier.