BORDEAUX – Arsac
L'HOMME
Le Clos du Jaugueyron n’est pas l’œuvre d’une famille bordelaise, propriétaire de vignes sur l’appellation margaux depuis des générations. Ici, dans un coin de forêt acquis en 2000, Michel Théron élabore ses vins dans l’intimité paisible du chai attenant à sa maison. En duo avec Stéphanie Destruhaut, sa compagne.
Ses haut-médoc et ses margaux font aujourd’hui partie des vins les plus reconnus de la rive gauche. Pourtant, rien ne prédestinait ce languedocien de 51 ans à un destin viticole bordelais. En effet, c’est du Minervois que Michel Théron atterrit dans le Médoc en 1988. N’ayant pu intégrer le cursus du BTS Viti-Oeno de Montpellier, il suivra celui de Blanquefort, en Gironde. En outre, c’est là qu’il rencontre sa compagne, Stéphanie, avec qui il partage sa vie à la tête du Clos du Jaugueyron. Née à Bordeaux, la jeune femme s’apprête à l’époque à entamer des études de tourisme, ayant cultivé l’amour du voyage durant son enfance en vivant loin des terres margalaises, à La Réunion. D’un autre côté, l’univers viticole qui anime Michel et ses amis l’attire, si bien qu’ils partagent rapidement leur sensibilité commune aux odeurs et aux goûts au cours de leurs premières dégustations. 1993. Premier fermage de 40 ares à Cantenac pour lui, début d’une longue aventure professionnelle au sein de Grands Crus pour elle. Des deux, le vigneron, c’est Michel. Depuis le début. Mais le rôle de Stéphanie au domaine, qu’elle a rejoint à temps plein en 2010, est loin de se cantonner au commerce. Tous les choix se font en duo. Et si les vins du Clos du Jaugueyron se distinguent autant des canons de beauté bordelais, c’est sûrement parce qu’ils possèdent un ADN différent. Un souffle venu à la fois des îles et des montagnes du Minervois, qui appellent encore Stéphanie Destruhaut et Michel Théron parfois, lorsque le soleil se couche sur Arsac.
« Les gens d’ici m’ont fait une place. »
LE TERROIR
8 hectares. Le Clos du Jaugueyron se partage à moitié sur les appellations margaux et haut-médoc. Loin des terroirs vallonnés de son Languedoc natal, Michel Théron travaille les sols bordelais avec les idées d’équilibre et de diversité au centre. Là où la biodynamie rayonne. Avec pragmatisme, conviction et humilité.
Au Clos du Jaugueyron, trois secteurs dominent. Perrain et le Tertre, voisin du célèbre 5ème Grand Cru Classé éponyme, en appellation margaux. Macau en appellation haut-médoc. Le premier est constitué d’une croupe sableuse riche en graviers et en quartz, alors que le deuxième bénéficie d’une croupe de graves du quaternaire plus argileuse sur certaines zones. Le troisième secteur, lui, est composé de gravettes fines et de sables très filtrants. Afin de compenser les manques de ces sols assez pauvres, Michel Théron s’emploie à ramener de la vie, notamment grâce à la constitution d’enherbements extérieurs. D’autre part, l’histoire du Clos du Jaugueyron est aussi celle de son rapport à la biodynamie, dont le domaine commence à mettre en pratique les préceptes à partir des années 2000. Le regard du vigneron formé à l’école de l’agriculture conventionnelle évolue progressivement. Au contact de Michel Chevré par exemple. D’Élian Da Ros ou encore de Mathieu Cosse. Peu à peu, les rencontres et les échanges nourris avec d’autres ont conduit le couple à repenser son approche de la viticulture. Les dégustations aussi. Ils trouvent que les vins biodynamiques se démarquent des autres flacons par l’esprit, la fraîcheur et l’énergie qu’ils dégagent. Ainsi, ils posent un autre regard sur le végétal. Les terroirs. Plus qu’une simple application de préparations, Stéphanie Destruhaut et Michel Théron voient plutôt la biodynamie comme un outil pour aller plus vite. Une information donnée aux sols pour se régénérer. L’esquisse d’un équilibre plus global.
« Notre objectif, c’est que nos sols aient une certaine autonomie. C’est une vie intense, ce qui ce passe dessous. »
LA FAÇON DE FAIRE LE VIN
Au coeur d’une bâtisse typique des Landes, Michel Théron élabore des haut-médoc et des margaux emprunts de distinction. Et ainsi, il livre sa vision des vins de Bordeaux. Des flacons qui au-delà du simple cadre de l’appellation allient pureté, équilibre et grande finesse. La marque du Clos du Jaugueyron.
Comme au sein de nombreux autres domaines qui partagent la même philosophie, au Clos du Jaugueyron, le vin est affaire de gestes simples. Mais effectués au bon moment. Aussi, la qualité de la vendange est l’enjeu premier pour Stéphanie Destruhaut et Michel Théron. À la vigne, la pratique – très répandue à Bordeaux – des vendanges vertes est bannie. En conséquence, les raisins qui arrivent au chai présentent un rapport peaux/pulpes plus en adéquation avec des extractions légères. C’est ici la finesse qui est recherchée, pour ne pas hériter de tannins trop grossiers. La juste maturité fait également office de priorité. En outre, les fermentations sont conduites en levures indigènes et spontanées, afin d’avoir une diversité de flore et de souches. Autre différence avec bon nombre de confrères, Michel Théron n’égrappe pas systématiquement les baies, selon les caractéristiques du millésime. Aussi, au cours des années plus solaires, la vinification en grappe entière apporte une structure, un équilibre et une fraîcheur supplémentaires. Aromatiquement, cette pratique fait naître des amers nobles ainsi qu’un caractère séveux. Pour le reste, les facteurs d’observations et d’accompagnement prévalent. Un usage extrêmement limité du soufre aussi. Au chai, le couple distingue des zones de parcelles qu’il vinifie séparément avant de les assembler. Et ne cesse de livrer des vins comme ils aiment les boire. Élégants, digestes et pleins de fraîcheur. En témoignent les haut-médoc et les margaux de classe du domaine, comme le Nout 2015.
« Ici, j’ai l’impression que la minéralité s’exprime plus par le toucher, le grain, la texture du vin que par l’aromatique. »