Dormance de la vigne en hiver. Pluviométrie. Ensoleillement et températures. Amplitudes thermiques. Aléas météorologiques. Pression des maladies. La somme des évènements marquants à la vigne au cours d’un millésime a un impact considérable sur la personnalité des futurs vins. Là où certaines années offrent un profil climatique plutôt équilibré et tempéré, gage d’une gestion sereine de travail à la vigne, d’autres, à l’image de ce millésime 2023 en cours, requièrent une charge de travail beaucoup plus intense. Une attention de chaque instant. Aussi, au-delà des grandes tendances observées, l’hétérogénéité entre les régions reste importante. Tout cela construit cette mémoire vivante d’un an passé à la vigne. Une trace laissée au milieu des années qui passent. Et qui reste.
LES MYSTÈRES DU “GRAND MILLÉSIME”
1947, 1961, 1970, 1989, 1990, 2010. La liste de ces “grands millésimes” résonne souvent comme un graal inatteignable pour de nombreux amateurs passionnés. Si leur point commun réside bien sûr dans la qualité, perçue au fil du temps, des vins auxquels ils ont donné naissance, il s’agit avant tout d’une addition de conditions favorables à la vigne. D’une somme d’évènements positifs à une grande partie du vignoble, malgré une hétérogénéité inhérente dans ce domaine. Ainsi, au cours de ces années fastes, le climat permet de récolter des raisins dotés d’un potentiel particulièrement prometteur. On parlera alors de tannins particulièrement élégants pour les vins rouges. D’une acidité remarquable qui aidera les vins blancs à évoluer dans le temps. D’un charme opérant immédiatement, dès les premiers mois parfois, quand d’autres millésimes mettront plusieurs années avant de révéler leur personnalité. Pour autant, impossible de limiter la classe d’un vin aux seuls éléments météorologiques. Leur empreinte est importante, certes, mais elle est loin d’être unique. Le terroir, bien sûr, joue un rôle prépondérant. Plus important encore, le travail effectué à la vigne et la faculté des vignerons à s’adapter au profil des raisins qu’ils récoltent chaque année. Cette sensibilité qui permet de sublimer l’identité de chaque millésime, y compris lorsque celui-ci réclame plus de sacrifices. Aussi, il n’est pas rare d’entendre cette phrase à la table des artisans vignerons. “C’est dans les millésimes difficiles qu’on reconnait les plus grands vignerons !”.
“En 2013, on a dû se battre sur tous les fronts pour arriver à quelque chose. Un vrai “millésime de vigneron”.” Élian Da Ros
LA TENDANCE DES DERNIERS MILLÉSIMES
La climatologie hexagonale connaît des bouleversements importants, avec une nette accélération observée depuis au moins 10 ans. Outre le fait que cela a pour conséquence de compliquer la tâche des vignerons, cela fait évoluer également les processus d’élaboration du vin. En effet, la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes observés dans tous les vignobles conduit à repenser ses pratiques en profondeur. À s’adapter encore plus, à tous les étages de l’élaboration d’un vin. Modes de taille, gestion de l’enherbement, choix de la date de vendanges. Les choix à faire chaque année sont encore plus cruciaux pour récolter des raisins sains, propres à faire de grands vins de gastronomie. Des bouteilles qui sauront à la fois offrir un plaisir immédiat et traverser le temps avec grâce. Aussi, la tendance des derniers millésimes s’oriente vers des vins auxquels le caractère chaud confère soyeux et gourmandise. On peut ainsi penser au quatuor 2017-2018-2019-2020, années qui ont, dans de nombreuses régions, fait figure de millésimes solaires, parfois même caniculaires. Pour autant, la finesse n’en est pas moins recherchée, bien au contraire. À cette fin, les vignerons tendent de plus en plus à éviter le piège de la sur-maturité, potentiel gage de lourdeur et de degrés d’alcool trop importants. En vinification, les extractions délicates sont de plus en plus privilégiées, tout comme les macérations plus courtes et le recours aux vendanges entières, technique propre à conférer floralité et caractère frais aux vins. À l’inverse, le millésime 2021, particulièrement touché par le gel, représente à merveille les qualités d’une année fraîche, avec une majorité de vins qui offrent moins de matière, mais font preuve d’une élégance remarquable !
“J’essaie, notamment dans les années solaires, de fournir assez de travail à la vigne pour limiter l’impact du millésime.” Guillaume Gros
“Notre grande crainte cette année, c’était le sec. Mais le mois de mai nous a donné l’eau dont la vigne avait besoin.” Patricia Luneau
ET LE MILLÉSIME 2023 DANS TOUT ÇA ?
Suite à un millésime 2022 très sec dans la plupart des régions viticoles françaises, le millésime 2023 semblait repartir sur les mêmes bases avec un hiver plutôt doux et un début de printemps placé sous le signe de la sècheresse. Mais le mois de mai a fait office de tournant cette année, avec une alternance d’importants épisodes pluvieux et de journées ensoleillées. Ainsi, la vigne a été en capacité de reprendre de la vigueur. Si la pression mildiou est déjà forte dans des régions comme le sud-ouest, où les pluies s’enchainent à un rythme important, la sortie de grappes, à ce stade, est belle. Notamment en Bourgogne, dans le Rhône septentrional et méridional, l’Anjou ou le Languedoc. À ce jour et avant l’été qui arrive, la crainte se situe plutôt du côté des orages de grêle, pouvant entraîner de sérieux dégâts dans le vignoble. Parmi les régions qui ont eu le moins de précipitations à ce stade, l’Alsace est reparti sur les bases d’un millésime sec. Aussi, si l’on peut déjà commencer à dégager les premières grandes tendances, il est bien sûr impossible de prédire quel sera le profil définitif des vins. Non seulement il peut encore se passer beaucoup de choses du point de vue du climat, mais les choix opérés par les artisans auront également une incidence forte sur la personnalité des futurs flacons. Gageons que quantité et qualité soient au rendez-vous, pour un millésime 2023 équilibré, qui récompense tout le travail réalisé par les vignerons !
KL