ALSACE – Epfig
L’HOMME
Lorsqu’Arthur Ostertag rejoint son père André en 2015 au domaine familial, à Epfig, l’histoire est déjà riche. La réputation est grande. Oui, le Domaine Ostertag est une véritable institution alsacienne. Une certaine idée du vin. Un certain goût pour la vie. C’est aussi un lieu de pure poésie, de partage et de transmission.
La poignée de main est franche et sincère. Le regard malicieux. Même diminué physiquement par la maladie, André Ostertag est un homme dont la présence et l’intelligence en imposent. Arthur, son fils aujourd’hui à la tête du domaine, semble fait du même bois. Ainsi, il nous ouvre les portes du célèbre Domaine Ostertag en toute simplicité. Pour comprendre l’histoire de leurs vins, et de la place qu’ils occupent dans le cœur des amoureux de grands flacons alsaciens, il faut plonger dans le temps. Se pencher sur la personnalité d’Arthur. Sur celle d’André, bien sûr, dont le travail depuis 1980 a permis aux terroirs d’Epfig d’exprimer une aura nouvelle. En effet, son approche possède un caractère inaugural propre aux artisans visionnaires, notamment au regard du poids de la tradition qui pesait alors lourdement sur le vignoble alsacien. Au départ du domaine Ostertag en 1966, Adolphe, le grand-père d’Arthur. Mais c’est sous la houlette d’André que les vins prendront progressivement l’envergure dont ils font toujours preuve à ce jour. Depuis 2015, Arthur a rejoint son père, après un passage en Nouvelle-Zélande chez James Hilton, puis deux années partagées entre un BTS Viti-Oeno à Beaune et le magnifique Domaine des Comtes Lafon. Clin d’oeil du destin, André y avait rencontré son ami Dominique Lafon et appréhendé son désir de faire du vin autrement 35 ans plus tôt. À la façon de son père, André laisse le soin de la cave à Arthur en toute confiance. Entre ces deux hommes se jouent beaucoup de choses. La transmission d’un savoir-faire dans toute sa dimension. L’expression d’une sensibilité commune aussi, sorte de fidélité à une certaine vision du rôle de vigneron. À ce métier qu’André Ostertag s’est construit à sa mesure, loin des codes, et que son fils Arthur est en train d’apprendre à vivre à son tour. À sa façon, en toute liberté.
« Arthur nous a bluffés sur les 2018. Il a fait des choix que je n’aurais pas faits. Et il a eu mille fois raison. »
LE TERROIR
Le Domaine Ostertag s’étend aujourd’hui sur 15 hectares, notamment sur les meilleurs terroirs du village alsacien d’Epfig. Grand artisan du classement du Muenchberg en Grand Cru en décembre 1992, André Ostertag a travaillé longuement afin de révéler toute la qualité des terres d’ici. Arthur a pris le relais avec passion. Et conviction.
À notre arrivée au domaine, André et Arthur décident d’une seule voix de nous emmener faire une promenade sur le Muenchberg. Il s’agit d’un amphithéâtre de vignes saisissant, le long duquel la balade invite inévitablement à la discussion. En compagnie des Ostertag, les dialogues sont à la fois simples et riches. Naturels et profonds. À l’instar de ces terroirs du Bas-Rhin, moins connus que leurs voisins du sud. Mais qui recèlent de trésors eux aussi, si tant est qu’un·e vigneron·ne soit là pour les révéler. Ici, c’est un homme, André Ostertag, qui a rempli ce rôle. En prenant le parti d’exprimer tout le potentiel et la diversité des sols d’Epfig, loin des codes moins scrupuleux des années 80. En choisissant de conduire son vignoble en agriculture biologique certifiée dès 1997. En étant précurseur de la biodynamie alsacienne, aussi. Cet héritage, Arthur l’accueille tout naturellement et le porte seul désormais, lui qui considère sa place et se sent comme chez lui au milieu des vignes. Dès lors, la continuité est de mise. Tous les efforts d’Arthur et de son équipe sont dirigés vers la valorisation de ce territoire. Aussi, on distingue plusieurs identités. Les grès, les quartz et la roche volcanique du Muenchberg. Les argiles marneuses de Fronholz. Ou bien les pentes légères argilo-calcaires du très élégant Pinot Noir Les Jardins 2017 et les grès roses et les gneiss sur lesquels le riesling s’épanouit pour composer la superbe cuvée Heissenberg 2018. Au domaine Ostertag, il est d’abord question de lieux. D’un lien puissant avec le terroir, la vigne. D’une autre forme de transmission. Guillaume Gros, qui a eu la chance d’apprendre pendant des mois auprès du maître, en parle toujours avec émotion.
« Le vignoble du Muenchberg a été planté par les cisterciens. Ils avaient le don absolu pour découvrir les lieux. »
LA FAÇON DE FAIRE LE VIN
Entre le moment où André Ostertag est arrivé au domaine en 1980 et celui où Arthur a pris sa place, l’Alsace du vin a changé. Alors qu’il fut longtemps de bon ton de privilégier le volume au détriment de la qualité, c’est aujourd’hui l’expression de terroir qui confère à cette région viticole un intérêt nouveau. Là encore, le Domaine Ostertag est précurseur.
Difficile de prendre la tête du domaine familial dont son père est le héros. L’homme qui a littéralement révélé aux yeux du monde l’identité et la complexité des terroirs d’Epfig, alors que personne, ou presque, ne paraissait s’y intéresser. Difficile, mais naturel pour ce jeune vigneron de 28 ans. La continuité, il l’incarne avec humilité et caractère. Ainsi, il fait ses choix, et notamment concernant les vinifications, auxquelles il semble avoir apporté un souffle nouveau. André, à l’instar de son père en son temps, n’a pas hésité à laisser le champ libre à l’expression vinicole de son fils. Certes, ces deux-là ne sont pas toujours d’accord. Ne feraient pas toujours les mêmes choix. Mais il règne une sorte de climat de confiance propice au travail bien fait. À la culture de l’excellence autant qu’à la construction de l’épanouissement au sens large. Cette ambiance d’apprentissage propre à créer des vocations, comme celle de l’excellent Lucas Rieffel, par exemple. Au chai, Arthur comme André possèdent une vision tellurique du vin. Pas de termes œnologiques ici. Au contraire, les images poétiques peuplent chaque mètre carré de cave. Pour autant, les flacons sont conçus avec exigence, dans la plus pure tradition du domaine. On retrouve ainsi l’usage de la barrique sur les pinots gris, à l’image du Zellberg 2018. Cette pratique est héritée des amitiés bourguignonnes d’André Ostertag. On retrouve plus globalement tout le travail sur les matières et les touchers de bouche des vins, ainsi que cette notion de précision et de pureté dans les jus. Pour y parvenir, les raisins sont récoltés à juste maturité, manuellement. Les rendements sont extrêmement maîtrisés. Ensuite, pressurage lent et doux figurent au programme, ainsi qu’un usage minime du soufre. Il en résulte des flacons d’émotions. Des vins de lieux, dotés d’un supplément d’âme unique. Des bouteilles dont on se rappelle.
« Il y a deux personnes avec qui je peux goûter les yeux fermés. C’est mon père et Xavier. »